A travers cinq albums réédités via un label US, on redécouvre les pérégrinations musicales de Lizzy Mercier Descloux.
« Elle était timide et volontaire. Elle était calme mais toujours prête à mordre, tel un petit serpent venimeux. Elle était sa propre invention, têtue, secrète, ouverte aux autres, impossible à résumer et impossible à ne pas aimer.” C’est en ces termes que Patti Smith évoque le souvenir de celle qui aurait pu être sa petite sœur française, ne serait-ce que pour le lien fraternel les unissant à la figure d’Arthur Rimbaud. Comme Rimbaud, Lizzy Mercier a écrit des poèmes réunis dans un unique recueil, Desiderata, publié en 1977. Comme Rimbaud, elle a chaussé des “semelles de vent” et beaucoup voyagé. Et comme Patti Smith, c’est avec la musique qu’elle s’est fait un nom, ajoutant au Mercier d’une mère absente le Descloux d’un père qu’elle a connu sur le tard.
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Quiconque écoutait la radio au début des années1980 n’a pas oublié son tube, l’euphorisant Mais où sont passées les gazelles ?, enregistré en Afrique du Sud avec des musiciens locaux, trois ans avant que Paul Simon n’emprunte rythmes et chants indomptables de Soweto pour son triomphal Graceland. En avance sur son temps, Lizzy le fut, au point de nous paraître insaisissable, à l’époque. Plus de trente ans après les faits – et douze après sa mort, des suites d’un cancer qui l’a emportée à 48 ans –, elle laisse l’impression de n’avoir été qu’une étincelle, l’une de ces étoiles filantes dont le passage finit par s’estomper dans un ciel surchargé de trajectoires laconiques. Erreur ! Car voilà que sous l’impulsion de son producteur, Michel Esteban, et du label américain Light in the Attic, sont réédités pas moins de cinq albums de notre sauvageonne, accompagnés de textes fouillés dus à la plume de la journaliste anglaise Vivien Goldman.
Une redécouverte qui nous prend au dépourvu, tant ce corpus musical impose rétrospectivement l’évidence d’une artiste inclassable dont le magnétisme et le charme romanesque compensaient de sérieuses limites vocales ; limites qu’elle aura d’ailleurs l’effronterie de tourner en autodérision dans No Golden Throat de l’album Press Color. Non, Lizzy n’avait pas la “gorge d’or” d’une Edith Piaf ou d’une Amy Winehouse. Mais elle n’avait pas froid aux yeux non plus et, question authenticité, elle en imposait autant. Feuilleter les livrets des albums, c’est prendre à chaque photo la gifle d’une aura farouchement androgyne. Un rien l’habillait, si bien qu’elle pouvait se permettre à peu près tout, sans faute de goût : dégaine punk, tailleur chic ou robe midinette. Idem pour la musique. Disco, funk, reggae, mbaqanga, samba, lounge jazz, elle a tout osé dans un esprit résolument rock, une absence d’inhibition qui distingue ceux qui exigent de la vie l’impossible, et s’interdisent l’interdit comme la médiocrité.
L’idéal est de parcourir ce jeu de rééditions comme autant de chapitres d’une même aventure qui, de Paris, l’a conduite à New York (Press Color), aux Bahamas (Mambo Nassau), à Johannesburg (Zulu Rock), à Rio (One for the Soul) et à Londres (Suspense)1 ; s’attirant au passage d’innombrables bonnes volontés, des contributions prestigieuses (Chet Baker !) et beaucoup d’amants (dont Richard Hell). “Hourra pour l’œuvre inouïe et pour le corps merveilleux”, récite-t-elle avec Patti Smith à la fin de l’album Press Color. Difficile de ne pas entendre dans cet extrait des Illuminations l’autocélébration posthume de cette fille décidément pas comme les autres.
1. Tous ces albums étaient sortis sur Ze Records
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